14h05, je dévale la dernière colline à toute vitesse. J’aperçois le feu et la ligne d’arrivée qui se dressent au loin alors qu’un grand frisson me parcourt. Il y a bien longtemps que je rêve d’accomplir une course extrême, et cela aura été le fruit d’un long entraînement mais surtout d’une course éprouvante destinée à pousser les participants au-delà de leurs limites.

Nous sommes le 3 septembre, il est 5h30 du matin. J’arrive sur les lieux de Ivory’s Rock, un domaine forestier du Queensland qui accueille la Spartan Race sprint, beast et ultra beast. C’est un endroit superbe en plein bush australien, couvert par la forêt tropicale, et surplombé par le Mont Flinders et la pointe rocheuse Ivory’s peak. Je suis engagé sur l’ultra beast et le départ sera donné dans une heure. C’est le format le plus long de Spartan Race : il faudra accomplir deux tours du parcours beast. De quoi sérieusement me faire peur, mais j’ai des choses à me prouver. Je me fraie un chemin dans le grand village de course qui est à l’image du nombre de participants; 7000 spartiates. Il faut que je dépose mes affaires dans l’espace de transition réservé aux concurrents ultra beast où nous pourrons nous ravitailler après le premier tour. Sac d’hydratation, casquette et puce de timing, je suis fin prêt et les mains tremblantes je me dirige vers le départ qui se fait attendre. 6h35, le président de Spartan Australia entame un discours pour nous chauffer à blanc et précise que nous serons 300 « die-hard racers » à nous élancer sur l’ultra. Il nous annonce qu’il faudra terminer la course avant 18h35, et après un énième « who am i? I am spartan! », le départ est donné et je me place sur les côtés pour éviter la bousculade.

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C’est ma première épreuve d’endurance et je choisis de partir lentement pour trouver ma zone de confort. Je voudrais terminer le 1er tour sans entamer mes réserves. Plusieurs obstacles s’enchainent destinés à casser le peloton : palissades, dessus-dessous, puis nous arrivons à un ramping sous des barbelés où nous devons en plus tenir une barre de 12kg sans la lâcher. Le président de Spartan Australia est à bord d’un buggy et contrôle que les participants exécutent bien l’obstacle. Certains sont envoyés aux burpees; 30 pour un obstacle échoué. A peine relevé, j’accélère et prends mon rythme de croisière, les premiers obstacles défilent. Le premier à poser problème est le traverse wall que je trouve exceptionnellement difficile car les prises donnent peu de stabilité et sont très espacées. Je le passe de justesse mais devant moi se dresse le lancer de javelot et je prends ma première pénalité sans surprise. Nous sommes à environ 30 minutes de course, et un gel avalé je repars vers la montagne qui fait face. Deux longues ascensions nous attendent jusqu’au sommet de Ivory’s rock. Tous les concurrents ultra beast marchent car le terrain est pentu et personne ne veut gaspiller d’énergie inutilement. C’est le moment d’admirer le paysage qui est magnifique, sans relâcher le pas. Un porté de deux kettlebells de 20kg coupe la deuxième montée, et une fois au sommet je pars comme une fusée. C’est mon point fort et je remonte une vingtaine de coureurs dans cette descente qui me permet de récupérer. Le second javelot m’arrête net. Le cauchemar de la plupart des coureurs à obstacles m’envoie une nouvelle fois aux burpees.

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Je reviens aux abords du village de course après environ 1h30 pour effectuer des retournements de sacs de frappe, une tyrolienne, le slippery wall et monkey bars, puis le parcours repars vers les montagnes. Arrivé au 25ème obstacle, le dead ball carry est annoncé et on aperçoit des medicine balls qu’il faudra porter dans une montée. Ils font 55kg et j’ai beaucoup de mal à le garder dans les bras. Il ne faut surtout pas le lâcher et pourtant son poids me brise le dos et les cuisses. J’arrive à pas de fourmi à me rapprocher de la fin de l’obstacle et je dois me faire violence pour que cette boule ne tombe pas. Une fois posée, j’efface quelques participants ayant pris la pénalité qui me reprendront quelques centaines de mètres plus loin lorsque je tombe de la poutre en zigzags. Peu importe, je suis en pleine aisance et la longue traversée de la rivière et des marécages me requinque les jambes. Par chance, il n’y a aucun crocodile pour nous barrer la route! Deux autres ascensions s’ensuivent, quelques obstacles dont le mur de 3 mètres, jusqu’à « the fortress » (un super obstacle où il faut grimper une structure avec des prises d’escalade), un ramping en côte, la corde lisse, et le fameux sandbag carry dont je commençais à espérer l’absence. Il est évidemment en côte et la montée sous le soleil de plomb est très pénible, interminable.

J’essaie de garder le cap en m’économisant. Cela fait 3 heures que je suis focalisé sur mon ressenti et je dois à tout prix rester frais. Pour l’instant pas de problème, mais je dois me pincer quand je vois le troisième lancer de javelot. Non, ce n’est pas un cauchemar, c’est bien réel. Et on connaît tous la suite de l’histoire, elle se compose de 30 burpees! Heureusement, le son du micro au loin et le bruit du village de course me reboostent, on se rapproche de la fin du premier tour. J’efface les derniers obstacles et tandis que les participants de la beast finiront leur course à ce point, une chicane à quelques mètres de l’arrivée me dirige vers la zone de transition ultra beast.

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C’est le moment de reprendre des forces. Mes affaires sont là et j’en profite pour remplir mon sac d’eau et y remettre des gels. J’avale rapidement un peu de poulet avec du riz, une orange, et reprends la course pour commencer le second tour. Cela peut sembler démoralisant de tout recommencer, mais c’est pour ça que je suis là. Je suis à présent seul. Il est 10h20 et les 300 « ultra beasters » sont éparpillés aux quatre coins du parcours; certains ont déjà abandonné, et les meilleurs sont loin devant. C’est ma partie préférée. Je fais le vide et j’augmente ma vitesse car je sens que rien ne peut m’atteindre. Le parcours défile plus vite, je sais à quoi m’attendre et j’adopte exactement la même stratégie qu’au premier tour en corrigeant quelques erreurs. Je commence à remonter des coureurs des dernières vagues de beast et sprint parties à 10h.

Certains australiens marmonnent des choses assez drôles en me voyant passer comme « this fucker is flying » ou « look at this fucking ultra beaster ». Je file encore plus vite dans les descentes et je sais que je vais terminer cette course qui me semblait infranchissable. Pourtant, le corps fatigue, les fessiers et quadriceps brûlent et j’ai beaucoup de mal à retourner les sacs de frappe qui paraissent deux fois plus lourds. Le medicine ball sera l’épreuve la plus difficile car je n’ai plus la force de le porter. Je commence à jeter des coups d’oeil sur mon débardeur où est inscrit le prénom d’une personne incroyable et je tiens bon.

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Je ne l’ai pas écrit par hasard, elle est partie après de longs mois d’hospitalisation, et a surmonté comme moi des épreuves très difficiles. J’encaisse et continue de tenir mon rythme de course. Le compteur de pénalités s’envole à cause des nombreux javelots, de l’équilibre et d’un obstacle où je prends une gamelle monstrueuse. On s’approche de la fin, je continue de remonter au classement en encourageant mes camarades ultra beasters. Le dernier porté du sandbag est très douloureux et le soleil brûle. Je pense fort à elle puis je vide mes pensées en avançant sans réfléchir. C’est un sentiment exceptionnel de savoir que l’on va terminer une épreuve qui aura demandé tant d’entraînement et de sacrifices, avec son lot de doutes et d’inquiétudes. Je serre les poings car c’est fait. En haut de la dernière colline, je m’élance à toute vitesse vers la ligne d’arrivée. La fatigue a disparu. Je regarde vers le ciel, j’espère qu’elle me voit. Puis, la délivrance, je passe la ligne d’arrivée, heureux et fier d’avoir terminé ce challenge incroyable.

On me remet une médaille imposante en métal, puis on me dirige vers la tente de ravitaillement et des résultats. La tablette indique mon temps de course : 7h29m42s, pour une 50ème place, 12ème de ma catégorie. Ravi et apaisé, j’imagine déjà de nouveaux projets pour cette course que je conseille à tous les sportifs confirmés qui cherchent à se dépasser ; avec un entraînement approprié bien-sûr.

Prochaine étape : l’ultra beast de Bright, dans les montagnes du sud de l’Australie le 27 novembre!