Le Crazy Up est une course à obstacles proche de Nantes sur les bords de la Maine. Pour son édition 2018, la course accueillait plus de 2100 participants au total avec 350 kids, 41 X Challengers et 37 Elite ! Elle organisait la seconde édition du X Challenge sur le même parcours. Une compétition d’endurance consistant à réaliser quatre tours en un temps précis, et comptant pour le classement national OCR France.

Passionné de courses à obstacles et particulièrement de défis d’endurance et de dépassement de soi dans ce genre, c’est en toute logique que le X Challenge faisait partie de mes grands objectifs de l’année.

Bien préparé physiquement, c’est pourtant l’histoire d’un manque de confiance que je vais vous raconter. Une course, comme d’autres auparavant, qui m’aura révélé à moi-même par la force des choses et d’une compétition rude et éprouvante.

Dès mon arrivée, je vais installer mes affaires dans la tente réservée aux X Challengers. Nous pouvons y disposer nos effets personnels et ravitaillements, et sont mis à notre disposition : de la nourriture, une ostéopathe pour nous soigner entre les tours, et même une piscine de glaçons. Dans une ambiance tendue mais conviviale, le directeur de course nous fait un briefing, accompagné de Erik Clavery, champion du monde de trail en 2011.

Nous devrons réaliser quatre tours de 8,2km et 25 obstacles. Les trois premiers devront être bouclés en moins de 55 minutes, sans quoi il y aura disqualification. Les compétiteurs repartiront ensemble sur chaque tour, toutes les heures. Enfin, le classement sera établi en fonction des chronos réalisés sur le quatrième tour. Il s’agit donc de gérer sa course et trouver les ressources nécessaires pour batailler dans le dernier tour. Après nous avoir souhaité bonne chance, nous rejoignons le sas de départ en même temps que la vague élite.

Le ciel est sombre et menaçant, le terrain détrempé des orages des jours passés. La tension monte tandis que mon esprit est vide. Je ne visualise pas de réel objectif, à part celui d’être finisher et terminer les tours dans le temps imparti. Je vois de nombreux visages familiers autour de moi; le niveau est relevé. Je reconnais le vainqueur de l’édition 2017 et de nombreux compétiteurs. Jimmy, que j’ai rencontré sur une course quelques semaines plus tôt, est présent et attend beaucoup de cette course.

Le décompte se termine et nous voilà lancés à travers champs pour ce premier tour. De nombreux compétiteurs de la vague élite Crazy Up prennent les devants et j’essaie de ne pas me laisser embarquer dans ce rythme trop élevé car eux n’auront qu’un tour à réaliser. Il est difficile d’y voir clair et de me repérer au classement. Dans ce tour, je me fais peur. Je ne suis clairement pas à l’aise, mon allure est moyenne et le souffle court. Difficile d’allonger la foulée avec autant de boue bien que le parcours soit très roulant, et je constate que le niveau est encore plus relevé que je ne pensais. Je termine en 52 minutes. A ce moment, une chose est sure, ça ne va pas le faire. Je ne tiendrai jamais le rythme encore trois tours…

J’ai huit minutes pour boire et me ravitailler légèrement dans la tente, sans me refroidir. J’y laisse mon camelbak que j’avais prévu pour m’hydrater pendant la course. Rien à faire, on verra bien. Du coup, cela me soulage pour gagner en agilité et en vitesse sur ce second tour. Le fait de connaître le parcours permet d’accélérer et l’effort passe mieux au niveau mental. Devant, ça galope vite. Je me prends au moins cinq minutes d’écart. Le vainqueur de l’année passée, Jérémy Michel, Patrice Bruneteau et plein d’autres sont bien loin hors de ma vue. Mon pote Jimmy finit en tête, je suis largué.

Tour numéro 3, c’est le dernier à assurer sous la barre des 55 minutes. Je n’ai pas le choix et accélère encore. Les sensations me mettent en confiance même si le terrain et les obstacles sont de plus en plus boueux en raison du passage des milliers de concurrents. Je ne suis pas si loin du rythme des premiers, qui eux ralentissent. Des réflexes s’installent sur le parcours que l’on a déjà réalisé trois fois. Le staff est toujours aussi sérieux et nous sommes pointés à chaque passage d’obstacle en vérifiant le respect des règles. Pourtant, je n’ai plus grand chose en réserve. Je me sens comme sur une fin de course où je lâche mes dernières forces, mais je sais que je peux tenir bien plus. Je suis tellement habitué à ce genre d’efforts longs et pénibles dans mon entraînement… on verra bien.

Erik Clavery me pointe à 49 minutes à l’arrivée, et je suis soulagé car à présent certain d’être finisher. Nous n’avons en effet pas de limite de temps pour le dernier tour. J’ai une pensée pour Jimmy que j’ai croisé au septième kilomètre, blessé et boitant douloureusement. Il ne terminera pas la course.

Je discute rapidement avec mon amie Mélanie ayant participé sur la vague élite. Les visages familiers, amis et encouragements me changent les idées dans ces instants difficiles, mais je dois retourner dans la tente pour me concentrer et me ravitailler une dernière fois. Au fond de moi, je suis en forme et capable de rivaliser avec les meilleurs, mais ne m’en rends même pas compte.

Je m’allonge sur la ligne de départ pendant plusieurs minutes car la souffrance va être intense dans cette ultime boucle. Les compteurs sont remis à zéro. C’est maintenant que la compétition se joue. Nous ne sommes plus que 18 en lice dans le X Challenge, car beaucoup ont été disqualifiés pour avoir mis plus de 55 minutes sur un tour. Il reste une seule femme que nous accueillons dans une ovation générale.

C’est parti. Je débute sur le même rythme que la fin du troisième tour. Tout le monde est épuisé. Je le vois rien qu’en passant une botte de paille après cinquante mètres. Le premier obstacle est un défi d’adresse. Je l’ai raté les trois fois et là… ça passe! J’évite la boucle de pénalité et nous ne sommes que deux à réussir. Première réaction : « ouf, c’est déjà ça en moins à courir ». Deuxième réaction : « du coup je suis quand même premier avec l’autre gars… » Je ne calcule pas vraiment car je me dis que les autres vont forcément revenir sur nous. Puis, en passant devant mon ami Patrice venu me supporter, il lance « Manuel en tête ! ». Il y a quand même peut-être quelque chose à faire…

Je m’accroche au type devant moi, qui m’avait confié s’économiser pour tout envoyer dans le dernier tour. Il a fini second en 2017.
On enchaîne les premiers obstacles et des longues portions de course dans les champs. Je déroule un maximum. Cela va de plus en plus vite. Il a 30 mètres d’avance mais une mauvaise technique de ramping donc je le rattrape sous les barbelés. Nous continuons ensemble un kilomètre, passons les monkey bars, puis je prends de l’eau au ravitaillement pendant qu’il entame une montée raide en marchant.

Allez, « ciao ! ». C’est le moment. Je fais l’effort pour courir et le dépasser dans la côte. Je veux le décourager immédiatement. Sur le plat à toute vitesse, impossible qu’il m’emboite le pas. On est tous cramés. Les coureurs des autres vagues que je remonte m’encouragent tous. Comme depuis le début de la journée d’ailleurs. Cela motive et occupe l’esprit. Quelle ambiance ! Je garde ce rythme pendant cinq minutes pour créer un trou, incrédule d’être en première position, et arrive au bucket carry. « Numéro 6 ! » Comme d’habitude, je crie mon dossard au staff pour pointer. En remplissant mon seau, je vois en contrebas que le vainqueur de l’an passé est repassé second et Patrice Bruneteau troisième, donc ça revient très fort. Je bombarde en portant le seau dans une série de montées et descentes.

Le corps agit machinalement mais l’esprit ne suit pas. Je n’ai jamais imaginé gagner une course. Ni même rêvé, pour être honnête. Je cogite trop, pas assez confiant. Cela commence à me jouer des tours. C’est déjà beau, j’ai mené pendant plusieurs kilomètres sur une course… Bref, n’importe quoi. Je bataille pendant un bon kilomètre à essayer de me convaincre que, oui, je peux le faire. Si je me donne du mal je peux gagner.

Et c’est vrai que c’est incroyable de mener une telle course. Je suis trop heureux, même si je me sens traqué et sans aucun repère de rythme à donner. Après avoir passé une longue section technique et boueuse, plusieurs obstacles dont un mur assez haut et un long rampé dans un enchevêtrement de câbles, je me retrouve dans une ligne droite à travers champs. Je suis seul au monde et me retourne; personne à l’horizon. Je ris tout seul. Cela me donne une force infinie, j’accélère de plus en plus. Plus ça va, plus j’entends « hey, c’est le premier! » Je ne comprends pas trop. Au loin, mon ami Patrice m’encourage pour me rappeler que c’est possible. Il a l’air de trouver ça normal que je sois en tête, c’est très drôle !

Je passe à toute allure devant le panneau du sixième kilomètre. Je connais maintenant le parcours par coeur et une longue section d’obstacles dans l’eau approche. J’adore ça, c’est parfait pour se requinquer car je suis vraiment à la limite. La vision commence à se troubler et les réflexes sont lents.

On doit ramer à plat ventre sur une planche. Ensuite je me dirige vers le saut de six mètres de haut et enchaîne par un passage de natation. Il faut créer un maximum d’écart car le second n’est pas loin. Il reste moins de deux kilomètres, je suis bien rafraîchi et j’envoie tout. Ça y est, j’y crois. Impossible que cela revienne avec l’allure que je tiens. Je boucle le circuit où il faut porter un tronc d’arbre.

Patrice est venu me retrouver et me suit en courant. Il crie sur les coureurs des vagues précédentes pour me laisser passer. C’est réglé, plus rien peut m’arrêter. Au loin j’entends le commentateur et Teddy, un autre ami, est également là pour me supporter et me suivre dans les dernières minutes. Il est génial, ça me sauve car je suis au bout du bout ; mais j’ai trop souffert pour lâcher si près du but.

Je restitue le code que j’ai dû apprendre au troisième kilomètre, et cours vers le javelot avec mes amis sur les côtés. Je ne sais pas avec quoi je cours d’ailleurs. La rage. Mais le javelot se plante à côté de la cible et c’est parti pour un tour de pénalité avec des sauts en sac. Une pénalité amusante à voir mais en réalité je la maudis. Elle anéantit le peu d’énergie et de cardio qui me restait.

J’en termine presque tandis que le second arrive au javelot. L’arrivée est à 500 mètres. Il ne reste que la corde lisse que je rejoins avec des foulées lourdes. Pendant que je grimpe, on me dit que le second vient également de rater le javelot. C’est donc terminé. Je renverse l’équilibre et frappe la cloche du pied pour aller savourer le dernier passage de course à pied. C’est affreux, je suis exténué. Mais tellement heureux. Je vole dans ces derniers mètres le regard vers le ciel. Je ne saurais pas dire combien de fois la pensée de mon amie Marine m’a porté durant ce dernier tour.

Le dernier obstacle péniblement escaladé m’amène en haut d’un container. Mes bras se lèvent, c’est la libération. Sous les applaudissements, je saute et rejoins la finish line dans un hurlement. Quel combat pour en arriver là. C’est fait ! Dans un mélange de fierté, d’étonnement et épuisement, je m’allonge pour enfin faire redescendre la pression.

Mes amis me retrouvent et j’attends l’arrivée du top 5 pour les féliciter tandis que je plane complètement. Pascal Leray, second, et Patrice Bruneteau à la troisième place, sont également accueillis dans une ovation. Ce dernier n’a pas l’air si fatigué et hurle des « AROO ! » pendant que d’autres compétiteurs s’écroulent derrière la finish line. Tous les finishers du X Challenge seront qualifiés pour les championnats d’Europe OCR en catégorie élite, c’est dire la difficulté que nous venons de surmonter !

Un bref retour sous la tente pour essayer de réaliser ce qu’il vient de se passer, et je dois filer à la douche avant la remise des prix. J’adore ces moments post-compétition où tout le stress s’est envolé pour laisser place à la fierté et l’insouciance.
Nous sommes appelés pour le podium. Le commentateur résume brièvement la course et Erik Clavery nous remet les énormes chèques, je me prends pour un champion ! Quel plaisir de pouvoir rencontrer un tel athlète et échanger avec lui.
Nous repartons tous ravis de nos performances et de la course. Un très bel évènement organisé avec succès par un staff passionné, et qui mérite de devenir un grand rendez-vous du calendrier. Pour moi c’était déjà le cas.

Manuel Casado