La Spartan Race Ultra Beast représente ce que j’ai toujours voulu accomplir dans le sport. À Brisbane pourtant, j’avoue être resté sur ma faim. Bien qu’étant une épreuve très difficile, je n’ai pas été poussé dans mes retranchements. Aujourd’hui, je vous emmène sur celle du sud de l’Australie dans la vallée alpine de Bright. La course que j’attendais.
Bright est située à plus de 300 kilomètres au nord de Melbourne. Au milieu de nulle part, cette petite ville au coeur de la vallée et dans un cadre pittoresque donne une vue magnifique sur les montagnes aux alentours. On pourrait presque se demander pourquoi organiser une Spartan Race si loin de tout, mais en réalité Bright est connue pour les stations de ski avoisinantes ainsi que des évènements de trail et de sports d’hiver. Le terrain est idéal pour une course à obstacles.
C’est là que nous arrivons le samedi matin. Thibault et Marie-Astrid sont inscrits sur la Super. Après avoir fait la route depuis Melbourne, nous sommes piles dans les temps pour retirer leurs dossards. Nous découvrons un village de course assez petit par rapport au nombre de concurrents, et il faut avouer qu’il manque d’ambiance pour le moment. Cela ne va pas gâcher notre plaisir car le cadre est magnifique, et nous remarquons que le parcours passe à l’intérieur avec de nombreux obstacles. C’est parfait pour les spectateurs car de nombreux locaux sont venus encourager les spartiates sur les quatre courses au programme : sprint, super, beast et ultra.
Je les regarde partir avec une certaine excitation; j’ai hâte d’être à demain. Avant d’aller les retrouver sur la fin du parcours trois heures plus tard, j’essaie d’observer les alentours plus en détails. On aperçoit au loin de nombreuses personnes remontant ce qui semble être une piste de ski. J’écoute également le discours que prononce le directeur de Spartan Australia à l’une des vagues. Il avertit les participants sur la difficulté de la course et les conditions délicates dues à la chaleur. En effet, il fait 28 degrés et le soleil tape fort. C’est selon lui la course la plus dure qu’il ait pu organiser sur Spartan Race (et il en est fier !). L’excitation monte.
Au loin, j’aperçois mes deux amis en terminer avec la tyrolienne et se diriger vers les trois derniers obstacles. Ils ont l’air ravis et passent la ligne d’arrivée après 14 kilomètres. Thibault m’explique le tracé dans son ensemble car j’en emprunterai une partie, et me prévient qu’il faut que je parte en tête car des petits chemins empêchent de doubler facilement au début. Marie-Astrid me parle du dénivelé qui n’en finit pas. Elle est prête à « me couper mes bananes » si je dois accomplir deux tours du parcours Beast (allez savoir pourquoi!). Je commence à me concentrer sur ma course et profite de l’après-midi pour bouger un peu et rester actif. Un très léger footing, quelques abdominaux, tractions et mouvements; et surtout une bonne demie-heure dans la rivière. Mes jambes sont toutes neuves ! C’est un plaisir d’être ici car la nature est splendide. Avant d’aller au lit, je prépare mes affaires de course, ma nourriture et mon sac de transition auquel j’aurai accès à la fin du premier tour.
Ça y est. Il est 4 heures du matin, et après une bonne nuit de sommeil, il faut que je mange mon traditionnel kiwis-poulet-haricots verts-riz d’avant course (je sais bien que cela parait délicieux au réveil), et on se dirige vers le site de la Spartan Race. Eux seront bénévoles pour la journée, et nous nous quittons au retrait des dossards.
Je suis mieux préparé que jamais pour cette course qui s’annonce extrême. Je sais que ça va être un grand moment.
Numéro 139, ça me plaît. Tout me plaît en fait. L’attente de ce moment m’a paru interminable et je suis mieux préparé que jamais pour cette course qui s’annonce extrême. Je sais que ça va être un grand moment.
Il est 6h40, et cette fois le directeur de la course ne sait pas quoi nous dire. Un manque d’inspiration ? En fait, il rit à moitié. Comme s’il avait lui-même du mal à croire à ce qui nous attend. Il nous rappelle simplement les règles et horaires de disqualification. Il est impératif de terminer le premier tour avant 13 heures, et le second avant 19 heures. « Restez sains et saufs, buvez beaucoup, et avertissez un membre du staff sur le parcours si vous souhaitez abandonner« . Il ne croit pas si bien dire car nous serons à peine 50% à terminer l’ultra.
« Who am i? I am Spartan! » C’est parti. Je me place dans les vingt premiers, vêtu de mon maillot Marine’s Smile, une association de soutien aux enfants d’un orphelinat de Bali, et en la mémoire de ma meilleure amie. Je vais leur faire honneur ! Le rythme est élevé pour une course si longue, mais je veux prendre des risques et calque mon allure sur un compétiteur devant moi. Je n’en ai pas vraiment parlé, mais je sens que je peux faire quelque chose sur l’Ultra beast. Mon esprit est vide, focalisé sur l’effort. Tout se jouera dans le second tour et il ne faut pas perdre de vue la tête de course. Nous passons donc quelques obstacles simples, et après plusieurs kilomètres dans les bois nous arrivons à une épreuve d’équilibre. La poutre a plusieurs angles droits. Elle est vraiment longue, trop pour moi, car je tombe sur la fin et entame ma première pénalité de trente burpees. Tant pis, ce n’est pas une surprise, et j’accélère pour retrouver le concurrent que je suivais au début car j’ai perdu une bonne vingtaine de places. Le sandbag carry ne me gêne pas vraiment et nous arrivons dans la première ascension. J’aperçois ma cible un peu plus haut et continue de courir malgré la forte inclinaison. L’écart se réduit rapidement car tout le monde marche. Une fois à hauteur de mon concurrent, j’arrête de courir à mon tour tout en gardant un bon rythme. Je fixe chaque personne en amont et les rattrape une à une. Cela me donne un objectif car la montée est interminable. On croirait atteindre le sommet à plusieurs reprises, mais chaque fois une nouvelle côte se dessine. Après environ 45 minutes d’ascension sur un terrain sec et rocailleux, le sommet nous accueille avec l’obstacle du wall ball. Il faut envoyer un medicine ball de vingt kilos par dessus une barre qui se situe à trois mètres. Échec, je pars pour une nouvelle série de burpees, la plus belle de ma vie ! Le panorama est grandiose.
La première partie de la descente est très technique et offre peu de stabilité, difficile d’accélérer. Elle est coupée par le lancer de javelot. C’est reparti pour une nouvelle pénalité; jamais je n’ai réussi à planter ce foutu javelot dans la cible (quelqu’un se reconnaît ?). Je me dépêche d’en finir avec ces burpees et dévale la montagne à toute vitesse jusqu’à un long passage dans la rivière. Je ne veux pas traîner mais il faut avouer que cela apaise les cuisses et les mollets qui sont mis à l’épreuve avec un tel dénivelé.
On entend le village de course au loin, et je me doute que nous arrivons à la moitié du premier tour. De nombreux obstacles, les classiques, vont s’enchaîner sur le village. Je passe le traverse wall facilement, un ramping et le slippery wall jusqu’à un nouveau javelot. J’ai une lueur d’espoir en entendant les encouragements des spectateurs, et surtout de mes deux amis qui peuvent se libérer de leur postes de bénévoles pour me suivre. Malheureusement, ça passe encore à côté. L’avantage est que la plupart manquent le javelot et je ne descends pas au classement. S’ensuivent la corde lisse, le hercule hoist, puis le « log hop ». Il faut sauter d’un rondin de bois jusqu’à un autre plus en hauteur puis passer par dessus. En amoureux des pénalités, je rate mon coup et m’énerve légèrement car j’en suis déjà à 150 burpees. l’enchaînement se termine par le cargo net et les monkey bars pour nous renvoyer vers la montagne.
Je cours bien au dessus de mon rythme d’endurance car frustré de prendre toutes ces pénalités. Le concurrent que je suivais m’a doublé à nouveau et est loin devant. Je le retrouve au début de la deuxième ascension dans un tirage de pneu. Il marche, je cours, et nos regards se croisent. Je vais le semer une fois pour toutes.
Le début de la montée est en lacets et je décide de courir car je me sens infatigable. Il faudra presque une heure pour rejoindre le haut de la montagne. Heureusement pour le moral, je n’en ai aucune idée et poursuit l’effort qui me détruit les jambes. Enfin, on entrevoit le sommet, et je ne sais par quel miracle j’arrive à relancer sur le plat. Cela amène à un ramping avant d’entamer la descente qui clôturera ce premier tour.
Je prends un plaisir fou dans cette course. Derrière moi, des parapentes prennent leur envol au dessus de la vallée ensoleillée. Je n’ai pas une seconde à leur accorder et file à toute vitesse dans une succession de chemins escarpés et rocailleux avant de déboucher sur une piste de ski. Ce ne serait pas un peu pentu par hasard ? Un peu trop en effet; malgré l’excellente accroche de mes Inov-8, je dois freiner l’allure car j’ai du mal à conserver le contact avec le sol. Je reprends environ cinq concurrents Ultra beast avant d’arriver sur le village. Les trois derniers obstacles sont une tyrolienne, the fortress, et un ramping. Un soulagement, car j’aperçois la zone de transition. Je vais pouvoir remplir mon sac d’hydratation, et manger suffisamment car malgré les gels que j’emporte avec moi je sais que j’aurai faim dans le second tour.
J’efface les obstacles rapidement et me dirige vers la transition après 3h45 de course. Et soudain, la désillusion. Une longue table barre la route, et alors que j’approche, un membre du staff me crie « tu as dix minutes, choisis celui que tu veux ! ». Des legos sont disposés sur la table, chacun avec une notice, et je dois en construire un dans le temps imparti. Le choc, alors que j’étais concentré sur ma course. Cette épreuve me fait penser à la Death race, et j’ai du mal à avancer dans la construction de ce foutu petit train. Il fait très chaud, j’ai hâte de boire, et toutes les pièces se ressemblent. Il faut accélérer car on m’annonce qu’il me reste deux minutes. Impossible de faire une pénalité là-dessus, je passe la vitesse supérieure et tends le train en lego au marshall à trente secondes de la fin…c’est bon! Je cours vers la transition tandis que je vois Édouard Hervy de la Tr1be ocr team effectuer sa pénalité. Nous pensions être les seuls français, mais la veille j’avais appris qu’il était engagé sur l’Ultra.
Il est temps de se ravitailler. Je renverse deux bouteilles d’eau sur ma tête et engloutis ce que j’avais préparé la veille avant de repartir. Édouard me rejoint et découvre la zone de transition. Il n’était pas au courant et pensait faire la course d’une traite! Ce gars est complètement à l’arrache!
Nous entamons donc le second tour ensemble et je m’accroche à son allure dans cette partie très roulante. Nous prenons tous deux la pénalité à la poutre, et nous dirigeons vers la montagne. Arrivés au sandbag, je le jette sur ma nuque et pars en courant. Édouard ne suit pas. Les écarts se creusent très vite sur les portés, et quand je jette un oeil en contrebas dans la longue ascension je ne l’aperçois plus.
Cette fois, il fait beaucoup trop chaud et les jambes sont plus que lourdes. Ça n’en finit pas. Pire, une bénévole me lance « faites attention où vous mettez les pieds il y a des serpents tigres ! » Franchement, c’est la dernière chose dont j’ai besoin. Je ne veux ni croiser un serpent, ni un tigre, et encore moins une fusion des deux. Un zèbre, à la limite.
L’escalade de la piste de ski se termine bientôt et j’ai gagné de précieuses places. On me tend la vis témoin, qui prouve que j’ai bien été au sommet, en m’annonçant que je suis en très bonne position sur la course. En dévalant la côte, je me prends à rêver d’entrer dans les vingt premiers. Devant le javelot, on me demande la vis pour me laisser passer, et j’y crois. YES! C’est dedans! Le javelot passe en plein dans la cible, et il ne me reste qu’à foncer vers la rivière. Je croise Édouard en sens inverse, et regarde mon maillot. C’est elle qui me donne autant de force? C’est trop facile, je ris tout seul en repensant au javelot tandis que le paysage défile, et j’en veux encore. Il faut aller chercher les compétiteurs qui sont devant.
Après la rivière, je refais pourtant les mêmes erreurs sur le village de course, et encaisse deux pénalités. Aucun concurrent ne repasse devant, et une fois de plus, direction la montagne !
Dans ce genre de course, il ne faut vraiment pas réfléchir. Le dénivelé est impressionnant et le physique est à bout. D’un autre côté, je ne vois pas ce qui m’arrêterait. Je suis entraîné pour et c’est ce que je sais faire de mieux. Je m’applique à courir dès que possible même si la pente ne le permet pas. Les jambes ne peuvent plus forcer seules, et je me retrouve à quatre pattes à plusieurs reprises pour escalader. Le sommet est loin, toute mon eau a été utilisée, il va falloir finir à l’audace! Chaque coureur des vagues Beast que je remonte a un mot d’encouragement en me laissant passer. Cela me pousse à ne pas relâcher, surtout lorsqu’avant de reprendre le chemin vers la vallée un membre du staff me crie que je suis dans les premiers de l’Ultra. Tout un groupe de compétiteurs Beast arrêtés à l’ombre pour récupérer applaudit, siffle, et j’accélère en levant le poing. Je cours bien plus vite que je ne devrais, mais comme je l’avais décidé ce matin, il faut prendre des risques. Je passe devant un nouveau concurrent et poursuit mon effort en grimaçant. « Oui oui, pas de problème. » Un bénévole me demande si je me sens bien alors que je grimpe une palissade. Ce n’est qu’après avoir passé le porté du medicine ball de 55 kilos et un autre avec un jerrican, que j’apprends que je suis dans les dix. Incroyable, jamais je n’ai rêvé d’un tel classement. Je ne sais pas si je ris ou pleure dans les derniers kilomètres qui me conduisent vers l’arrivée.
Le mur de trois mètres ne pose pas de soucis et j’arrive sur le village. Thibault m’attend à la tyrolienne pour m’encourager. Je parle tout seul, je suis en plein délire! J’escalade the fortress et me dirige vers le ramping en profitant de ce moment inoubliable. La finish line est là, cent mètres devant, après plus de 42 kilomètres parcourus, 2200 mètres de dénivelé positif, et un nombre incalculable d’obstacles. Mes bras se lèvent vers le ciel. Intérieurement c’est l’euphorie, la rage d’être venu à bout de cette course extrême et interminable. Quelle joie. On me remet l’énorme médaille en métal en me communiquant mon classement : 10ème en 7h39.
Je suis sur un nuage et m’étale sur le sol le regard vers le ciel. Je ne sais pas combien de temps je reste là. Ma mission est accomplie, je suis heureux et peux enfin souffler.
Il faut maintenant manger pour récupérer, et sous la douche j’aperçois au loin Édouard qui vient d’en terminer avec sa course. On se rejoint à l’ombre pour faire connaissance. Il est 16ème et également très fier de sa performance. On a du mal à croire à ce qu’on vient de vivre, et nous resterons là plusieurs heures à en discuter en attendant Marie-Astrid et Thibault qui finissent leur bénévolat.
La chaleur tombe et la journée touche à sa fin. Nous devons partir pour rejoindre Melbourne. Je laisse Édouard quelques instants pour aller rassembler mes affaires dans la zone de transition, tandis que des concurrents continuent de passer la ligne d’arrivée. Je retrouve une compétitrice que j’ai connu à Brisbane, elle vient de finir troisième féminine ! Je la félicite et nous échangeons quelques mots, mais son avion l’attend et en s’éloignant elle me lance « Je sais qu’on se verra sur l’ultra de Townsville en juin, pas vrai ? ». Je lui souris sans répondre. évidemment.