Nimègue, Hollande, 10h15 : après un long échauffement, je suis accoudé aux barrières prêt à entrer en scène. Je vais participer aux premiers Championnats d’Europe OCR indépendants et je réalise à peine. Je ne suis qualifié qu’en classe d’âge donc pour moi l’unique objectif est de ramener le bracelet bleu. Pour cela, je devrai parcourir quinze kilomètres et franchir une cinquantaine d’obstacles tous plus durs les uns que les autres situés autour d’un grand plan d’eau. Le circuit empruntera une partie du parcours de la Strong Viking, grosse série d’Europe du Nord. Malgré mon entraînement spécifique type Ninja Warrior, je ne pars clairement pas la fleur au fusil mais tout de même confiant dans mes capacités.
Il est l’heure ! Je m’avance face au grand mur de deux mètres cinquante. Autour de moi, des coureurs hollandais, anglais, belges et plusieurs autres nationalités se préparent. La musique électro et les feux d’artifices saluent chaque départ. Grosse ambiance. Par ailleurs, les organisateurs ont opté pour un départ par vague de 10 et une configuration en contre la montre. Je rappelle que vous êtes éliminés si vous ne franchissez pas un obstacle mais les tentatives sont illimitées.
Le décompte commence et je sens un énorme pic d’adrénaline m’envahir.
5-4-3-2-1 Gooooo !
Mes muscles se tendent et je passe le mur très rapidement. C’est parti, on y est ! Je me dirige vers un escalier passerelle qui servait à étirer le flot. J’ai opté pour une stratégie conservatrice à savoir courir à quatre-vingt cinq pourcents pour garder du jus pour les obstacles. Après la petite corde avalée rapidement, un long passage dans la boue avec des dunes et des rampings se présente. Je rattrape déjà les vagues de filles parties avant moi. Au tour d’une poutre d’équilibre très longue en plusieurs étapes agrémentée de rondins de bois et d’une bascule, je suis en rythme et je me sens plutôt bien. Nous revenons vers le plan d’eau où nous attendent de nombreux obstacles : je passe sans encombre le ramping dans le sable à moitié immergé, la petite rampe et la corde avec un rondin de bois au milieu. Ce dernier obstacle m’a fait gagné beaucoup de places. Tout allait bien jusque là !
Place à l’un des obstacles phare de la Strong Viking, le Flying Ragnar. En gros, vous devez sauter, attraper un trapèze et toucher la cloche suspendue, le tout à deux mètres cinquante au dessus de l’eau. Je visualise et je me lance. J’arrive à m’accrocher mais je rate la cloche encore en mouvement de 2 cm …et plouf je me retrouve dans l’eau. À chaque échec, vous deviez nager une vingtaine de mètres pour remonter sur la structure afin de réessayer. Le vertige me fait rater mes essais deux et trois. En effet, mon impulsion est timorée et je n’arrive même pas à m’accrocher. Le doute et la peur commence à m’envahir. Je ne vais pas échouer là quand même, c’est pas possible ! Je me mets des claques et je prends un bel élan et j’arrive enfin à m’accrocher, je me concentre et je frappe de peu la cloche. Ding ! Ça passe ! Ouf ! Sauvé !
Je sors de l’eau et je reprends ma course non sans avoir perdu quinze minutes environ. Je monte dans un bac d’eau gelée où il faut s’immerger totalement sous l’eau. Je sors de là frigorifié et je ne sens plus du tout mon corps. Le portée de sac de vingt-cinq kilos avec des franchissements intégrés nous emmène vers le toboggan géant. Je m’avance pour m’asseoir et c’est alors que je découvre l’énorme pente. La peur me tétanise. « Je ne vais pas faire ça , pas possible ». Le bénévole me demande de croiser les jambes et de mettre les mains sur le torse. 3-2-1 et il me pousse. Waaaaaaaaaaaah ! ! !
Chute énorme et le tremplin me catapulte quatre mètres plus loin. Je prends un gros choc à atterrissage mais au football américain, j’en avais vu d’autres. Un plaisir intense me submerge et on se congratule avec le belge avec qui j’ai fait le saut. De nouveau, je reprends le sac de vingt-cinq kilos pour la fin du parcours.
Je mets mes gants alors que la première grosse structure type Ninja Warrior apparaît, à savoir un combo monkey-bars / corde / monkey-bars. Étant habitué, je ne m’affole pas et je prends mon temps. J’arrive quasiment au bout quand mon gant s’enlève progressivement et c’est la chute à deux barreaux de la fin. Je fulmine intérieurement car l’obstacle était assez énergivore et le suivant allait l’être encore plus. Après quelques minutes pour récupérer et abandonner mes gants. Je le retente et le réussis. Déjà des queues se forment devant le combo tyrolienne, filet à passer par en dessous et la corde horizontale à ne franchir qu’avec les mains finale. Après vingt d’attente, je me lance, la poigne et la résistance musculaire des bras est testé au plus haut point. Les abandons commencent. Je détends mes bras à chaque partie intermédiaire et je finis par le passer en poussant un premier cri de rage. Nous n’en sommes qu’au quatrième kilomètre et mes bras sont déjà bien congestionnés. Je m’efforce de les décontracter lors de chaque partie de course à pied.
Après un kilomètre, je me retrouve à cinq mètres au-dessus de l’eau : il faut sauter. Une nouvelle fois, j’ai peur et je pense à ma fille. Je me dis qu’elle se noie et que je dois y aller. Je ne tergiverse pas. Je décompte dans ma tête pour m’imposer le saut. 3-2-1 : GO – Waaaaaaaaaaaah – Plouf !
Cette course teste vraiment les limites et je suis fier d’avoir surmonter mes phobies. De nouveau, une longue section de course à pied avec quelques franchissements de murs assez simples. Je m’arrête pour enlever les nombreux cailloux de mes Reebok All-Terrain. En effet, les lacets Quicklace n’arrêtent pas de se desserrer. Bref mes chaussures me font un peu défaut pour la partie course à pied mais elles sont tellement efficaces sur les obstacles que je leurs pardonne.
Ensuite, un sentier nous fait monter et descendre en lacet. J’ai bien compris qu’avec les attentes, je ne pourrais pas faire un bon temps et je profite de ces sections pour récupérer au maximum. Seul le bracelet compte ! Je vois alors apparaître une sorte de mur des héros horizontal à franchir à l’aide d’un bâton. C’est parti pour mon premier essai. Je me débrouille bien jusqu’à cinquante centimètres du but. À ce moment-là, la barre tourne à chaque avancée, mes poignets se tordent et je suis contraint à lâcher. Je suis victime de mon inexpérience. J’observe les autres durant l’attente et j’opte ce coup-ci pour une prise mixte. Ainsi, je franchis plus facilement l’obstacle. Nouveau cri de rage et j’élève un peu la vitesse. S’ensuit un long porté de sac dans une belle montée. Cela fait déjà deux heures que je suis parti et l’arrivée n’est pas encore d’actualité. En haut, je franchis une structure type palissade sans base puis c’est la descente avec le sac.
À partir de ce moment, la plupart des obstacles restants seront axés sur les bras.
Autant je suis très à l’aise techniquement sur les cordes verticales autant les tyroliennes sont mes bêtes noires. Malheureusement pour moi, je vais en avoir pour mon grade. Sur l’obstacle suivant, je dois franchir un mur et sauter de celui-ci sur une corde verticale. Ensuite, il faut passer par dessus le montant du haut et redescendre. Puis viennent des sauts de barrières en bois et une palissade constituée de deux barres assez hautes. Mes entraînements aux tractions, ma technique de grimper de corde et mon bon rapport poids/puissance m’aident énormément sur ce type d’obstacles. Grâce à ça, je préserve mes bras.
J’enchaîne avec des rondins de bois à tirer sur un petit parcours puis de la natation et un passage dans un marais. Au détour d’un chemin, je distingue une longue corde tendue au dessus de l’eau : une tyrolienne de vingt-cinq mètres de long. Quelle horreur ! Je réfléchis rapidement à la technique à utiliser et le tirage militaire par dessus s’impose sauf que je suis torse nu. L’échec n’est pas une option et je sais qu’en cochon pendu je n’aurais pas la poigne suffisante pour traverser. Je sacrifie donc mon torse, mon aine et mon mollet pour atteindre le but. Je mets mon cerveau sur pause et me lance.
La corde bouge énormément mais je suis très stable. Trois tirages consécutifs et je me pose pour détendre mes bras tétanisés. Mon regarde se fixe sur l’eau, concentré sur ma respiration pour éviter de penser. La douleur est présente mais je fais abstraction. Petit à petit, j’avance lentement, très lentement mais sûrement. Il n’y aura pas de second essai tellement ça fait mal donc je n’ai pas le droit à l’erreur. Je lève pour la première fois les yeux. Il reste cinq mètres. La rage m’envahit et aux nerfs je franchis les cinq derniers mètres sauf qu’à cinquante centimètres de l’objectif, je passe sous la corde. Moment d’effroi, mes bras sont tétanisés mais je ne dois pas lâcher. Je ne lâcherai pas et je finis en cochon pendu tout en m’assurant d’avoir bien validé l’obstacle. J’hurle de rage ! Le dépassement de soi est total ! Maintenant, le mental jouera sur chacun des obstacles restants et je suis boosté à block.
Très vite, le nouveau challenge arrive. Il s’agit d’un combo poutre cochon-pendu, filet pyramide de corde et poutre cochon pendu. Je remplis le contrat et je poursuis ma route. La corde à grimper au diamètre impressionnant ne me m’opposera pas trop de résistance. Je joggue ensuite vers le prochain défi : une dizaine de rondin de bois verticaux avec des cordes dessus pour se tenir. Je suis étonné par la facilité avec laquelle je les passe lorsque tout à coup la technique bien huilée se grippe et je me retrouve en détresse accroché à une main à la corde. Tout se tétanise et je décide de jouer le tout pour le tout en me balançant à l’aide d’un balancier par dessus la muret final. J’effectue un soleil en le heurtant et atterrie du bon côté. Cri de soulagement sous les applaudissements des marshalls ! Yes ! la fatigue et les baisses de concentration sur la fin de certains obstacles commencent à me causer d’énormes frayeurs.
Il reste quasiment rien à parcourir. Après les pneus à retourner sur deux fois vingt mètres et un petit ramping en montée, j’arrive sur le weaver, une petite structure en rondins de bois qu’il faut passer en dessus dessous. J’avais visionné des vidéos au préalable et je connaissais la technique.
Le dénouement est proche. J’appréhende le dernier obstacle que j’ai eu le temps d’analyser la veille. Il y a déjà une file impressionnante de coureurs qui attendent et je décide de marcher tout en massant mes bras. Pour donner un côté épique à cette fin d’aventure, une pluie gelée s’abat désormais sur nous.
Toute la team France est là pour nous encourager. C’est génial cette cohésion ! Je suis épuisé et après plus de trois heures, il ne me reste plus beaucoup d’énergie. C’est à mon tour : je franchis le premier mur et je m’assois sur la corde tyrolienne courtes et boueuse. Elle est toute détendue et ça complique les choses. Je dois me hisser sur une structure en filet sauf que mes bras ne répondent plus et je chute inexorablement. Je cherche du réconfort auprès de la team qui me rebooste pour retenter le coup. J’apprends qu’Alex Boccon est là depuis deux heures…
Carla me donne sa veste car je tremble énormément. Je n’arrête pas de me répéter que je vais y arriver. Que j’ai pas le choix ! Jordan en parfait coéquipier me masse les bras pour les détendre. Parfait leader de cette team et super pôte ! Après trente nouvelles minutes d’attente, je retente le coup mais j’ai mieux analysé ce coup-ci. J’arrive aidé par les encouragements à me hisser sur la structure en filet. Ensuite, il faut grimper à l’aide d’une mini corde par dessus un montant et passer par dessus. C’est pas simple mais j’y arrive. Je fais attention en descendant de la structure sur la petite poutre. Face à moi se trouve une rangée d’anneaux. Je teste la poigne : c’est détrempé et le passage à l’aide des mains est impossible. La Norvégienne à ma gauche passe tout son bras dans l’anneau jusqu’aux aisselles, accroche l’anneau suivant et fait pareil, libère le bras arrière, tire dessus en accrochant l’anneau pour se balancer et ainsi de suite. Je n’ai pas le choix : je fais pareil. Les cris des camarades me donnent l’énergie que je n’ai plus depuis trois obstacles déjà.
Yes ! Chaque étape est une petite victoire. Je touche au but. Il ne me reste plus que les huit sabots et trente mètres me séparent de la ligne d’arrivée toute proche. « Prends ton temps, repose toi, tu vas y arriver ! ». Je me laisse guider par ses voix réconfortantes depuis le début. Je ne suis plus seul face aux épreuves. J’ai toute la team derrière moi et je me sens fort. Dans ma tête, je suis déjà de l’autre côté et je visualise ma réussite.
Après trois minutes de récupération, je me lance. Mes bras sont fléchis, j’enfonce bien mes mains au plus loin dans le sabot pour assurer la prise. Malgré la pluie ça accroche bien. 1-2-3-4-5-6 j’avance ma main gauche vers le septième. Plus qu’un et c’est gagné…j’aurais mon bracelet OCR EUROPEAN CHAMPIONSHIP , j’en rêvais… Mais d’un coup, mon corps me lâche. Ma tête lui dit d’avancer mais il ne coopère plus. Je n’arrive plus à remonter en traction pour assurer la dernière prise et je reste suspendu à vingt centimètres du but final. Je me sens comme dans Cliffanger, mon bracelet ne tient qu’à un fil. Je ne dois pas tomber, je ne peux pas tomber après tout ça. Je ne panique pas et reste lucide, j’ai le plan b de secours. Un balancier du corps et je me projette de l’autre côté comme j’avais fait un peu plus tôt. Oui, c’est ça que je dois faire. Ainsi, je lance mon corps en arrière et il revient vers l’avant, je lâche ma main arrière en premier pour gagner du terrain mais au même moment la main gauche glisse…
Tout s’arrête.
Allongé les bras en croix dans la paille, je ferme les yeux un long moment. Je revois ma course défilée : le vertige surmonté, la souffrance sur la tyrolienne, les chutes, les réussites au mental, les encouragements, le froid, les joies, les quatre heures d’effort… C’est fini : j’ai jeté les quelques dernières forces qu’il me restait dans la bataille.
Je me relève lentement pour remettre mon bracelet au marshall. Ça y est je suis éliminé à vingt mètres de la ligne.
Je marche tristement vers celle-ci abasourdi. On me remet la belle médaille des premiers championnats d’Europe OCR. Je vais ensuite récupérer mon tee-shirt finisher. Là, on m’annonce qu’il ne reste plus que du XL… Peu importe ! Mon esprit est encore allongé dans la paille.
Cette course a été pour moi un énorme défi physique et mental. Aussi, je suis fier de ce que j’ai réalisé. Certes, j’ai échoué mais j’ai surtout énormément appris sur moi-même. Je me suis dépassé et j’ai donné trois cent pourcents.
Maintenant que les exigences sont connues, je suis bien décidé à ajuster mes entraînements en conséquence pour prendre ma revanche l’an prochain.
Dans plusieurs années, je pourrais dire que j’ai eu la chance de participer aux premiers championnat d’Europe OCR indépendant.
J’ai moins aimé :
- les trop nombreux obstacles de tyrolienne
- la balance obstacle/course à pied qui penchaient trop en faveur des obstacles.
- L’attente aux obstacles (environ 2h sur les 4) à cause des tyroliennes dans les combos
- le tee shirt finisher (pas à ma taille en plus)
- le départ en contre la montre (je préfère les départs groupés pour savoir où on se situe. Il faut ajuster les obstacles en fonction derrière.
- Le parking payant.
J’ai aimé :
- l’organisation : vestiaires, consignes, toilettes, etc
- le gros challenge proposé par les obstacles
- le nombre d’obstacles et les grosses structures
- la médaille finisher
- l’ambiance très festive (on se serait cru sur un festival)
- la team France dans son ensemble (les moments passés, les encouragements qui vous galvanisent, etc)
- le toboggan, le flying ragnar et le saut de 5 qui m’ont donné de super sensations.
Je remercie les organisateurs, les bénévoles et les marshalls OCRA, la team France pour tous les bons moments passés et félicitations à Grégoire et Jordan pour leurs performances, des machines.
Je remercie mes partenaires La Frappadingue pour m’avoir permis de participer à cette course, j’ai tout donné pour faire honneur, Globe Runners, Run Gratis et Run n Trail, Nutrisens.
Tony, Philippe et l’intrépide de pré-en-pail,
Séb d’obstacle,
Léo Climber pour ses conseils coaching et le boost au moral,
Carla pour ses encouragements omniprésents,
Ma famille que j’aurais aimé emmener avec moi et à qui je fais des gros bisous.
Une pensée particulière pour Boris et Brice, qui auraient dû être présents. J’ai tout donné aussi pour vous les mecs.
Je vous dis à très vite les warriors car dès dimanche je recours sur la Ruée des Fadas à Montalet.
Toujours aller de l’avant !
Bien bel article Matthieu qui met en valeur ton enthousiasme, ton goût de l’effort et ta passion pour ta discipline. Au plaisir de te revoir sur le « PSA Ropenard »‘adresse facebook pour des trainings spécifiques. « La nature entretient ta forme » Skal
En te lisant, j’étais à tes côtés lors de cette course surréaliste, partageant douleurs et joie, peur et fierté… Bravo champion, quelle abnégation, quelle volonté, quelle générosité dans l’effort !
Parfaitement résumé et comme toi j échoue sur derniers obstacles tu perds toute motivation tu as l impression d avoir tout raté et oui plus f obstacles que de course a pied les mêmes reproches parking j ai dormi dans l auto on m a fait quitter le parking donc j ai payé 2 fois! Mais bon on sait a quoi s attendre on se préparera mieux Felicitations aux organisateurs pour une premiere c est sur le bon chemin merci aux bénévoles et aux concurrents qui étaient courtois respectieux