Pour aller plus loin dans la compréhension et le franchissement des obstacles, nous accueillons l’analyse de Sidney Grosprêtre, maître de conférences à la faculté des sciences du sport de Besançon. Il enseigne les neurosciences, la biomécanique et la physiologie appliqués au mouvement. Ses recherches portent principalement sur la neurophysiologie, ou l’étude du fonctionnement du système nerveux lors du mouvement. Pratiquant de Parkour depuis 15 ans, il fonde en 2004 une association de Parkour à Dijon. Une initiative qui le mena à fonder avec d’autres associations françaises en 2011 la fédération nationale de Parkour (FPK), qu’il préside depuis.
À partir des bases de la méthode naturelle de Georges Hébert (1912), saupoudrez quelques mouvements gymniques (saut de cheval), ajoutez-y la fameuse « planche » des pompiers (traction complète), le tout dans un milieu principalement urbain : vous obtenez le Parkour. Aucune faute d’orthographe, mais une adaptation moderne du parcours du combattant à tout type d’environnement. Née dans les environs d’Evry, au sud de Paris, et popularisée par la suite par les films Yamakasi et Banlieue 13, le Parkour a connu son essor surtout dans les années 2000. Ces années furent en effet témoins de l’institutionnalisation de la discipline avec l’arrivée des associations qui encadrent les jeunes pratiquants et même d’une fédération (La fédération de Parkour, ou FPK, créée en 2011).
Le parkour use de techniques spécifiques à chaque obstacle, avec un vocabulaire qui lui est propre. Ainsi, le traceur (=pratiquant de Parkour), dispose d’un panel de techniques selon que l’obstacle soit haut, long ou large. Lorsque l’on parle de franchissement en milieu urbain, le premier élément qui vient à l’esprit est alors le mur. Plat et vertical, dans toute sa simplicité, le mur est une construction haute destinée à séparer les espaces. Les traceurs n’ont alors qu’une idée en tête, s’élever, franchir pour s’affranchir de ces règles. Après une brève course d’élan, un appui sur le mur, les voici en son sommet. De l’autre coté, avec un regard aussi hagard qu’inquisiteur, les passants se posent alors la question : « comment êtes vous arrivé là-haut alors que le mur n’a aucune prise ? ». Il est parfois difficile d’admettre pour le quidam moyen que le mouvement est la réponse. En effet, nul besoin de prises lorsque l’on sait effectuer un « passe-muraille ». Cette technique, à l’image du personnage éponyme de Marcel Aymé (1941) qui passait à travers les murs, se destine au franchissement de murs hauts. Pour des murs d’un mètre cinquante jusqu’à plus de quatre mètres pour les plus entrainés, le « passe-muraille » permet d’accomplir ce prodige : franchir l’infranchissable.
En réalité, aucune magie ici, si ce n’est celle du corps humain en mouvement. La technique du passe-muraille met à profit des règles élémentaires de biomécanique, que nous nous proposons de décrypter ici. Après une course d’élan et un appui sur un mur, il permet de se projeter vers le haut et d’en saisir l’arrête avec les mains. Ensuite, il n’y a plus qu’à se hisser sur le haut du mur en réalisant une planche. Nous décomposerons le mouvement du passe-muraille en quatre phases successives : la course d’élan, l’impulsion sur le mur, la phase d’envol et la saisie du mur.
Pour ce type de technique, la course d’élan ne nécessite pas une vitesse maximale, mais des appuis efficaces. La notion de rythmicité est très importante. Le mieux est ainsi d’avoir une accélération progressive pendant l’élan et d’atteindre la vitesse optimale à l’impulsion finale. Parmi les comportements classiques du débutant, on remarque deux extrêmes : la course d’élan en « pas de géant » ou bien la course en piétinements. Ces derniers sont liés à une mauvaise appréciation des distances entre lui et le mur, ou à une appréhension de celui-ci. Il faut donc parfois travailler à vitesse réduite dans un premier temps.
Ensuite, le dernier pas au sol doit être très explosif, et se faire à distance raisonnable du mur : trop près et l’amplitude du mouvement est trop restreinte, trop loin et l’appui au mur n’est plus efficace. Une phase d’envol est nécessaire avant la pose du pied sur le mur, c’est-à-dire que l’athlète n’est à ce moment là en contact ni avec le sol ni avec le mur. L’appui sur le mur se fait donc à une certaine hauteur, en moyenne au niveau de la taille. C’est un appui qui sert de pivot au corps pour monter droit (les experts en athlétisme parleront de « cône d’impulsion »). Il ne s’agit donc pas d’utiliser sa jambe d’appui sur le mur pour « pousser », mais bien pour « pivoter » autour de l’appui.
Si ce pivot est bien réalisé, l’envol qui suit l’appui sur le mur est vertical. A contrario, le comportement classique du débutant consiste à pousser sur le mur vers l’arrière, ce qui a pour effet de créer un déséquilibre et un éloignement du mur. Pour certains grands passe-muraille, une main reste parfois contre le mur pour justement contrôler la verticalité de la trajectoire, tandis que l’autre va chercher le sommet du mur. Lors de la phase d’envol, l’utilisation des membres libres ont aussi leur importance. De manière générale, les membres libres sont ceux qui ne sont pas en contact avec la surface d’appui. La jambe qui n’est pas en appui sur le mur doit donc également permettre l’élévation du corps vers le haut, en effectuant une montée de genou dynamique (« coup de genou »).
Pour finir, la saisie du mur est suivie immédiatement d’une traction complète. Une fois la technique du passe-muraille bien réalisée, cette dernière fait partie intégrante du mouvement. Il s’agit en effet de profiter de l’ascension du centre de gravité initiée par l’appui mural pour faciliter l’exécution de la traction. En réalité, le but du passe-muraille n’est pas simplement d’atteindre le haut du mur avec ses mains, mais bel et bien de franchir celui-ci le plus aisément possible. Ainsi, l’appui mural doit servir à élever le plus possible le centre de gravité. Avec un très bon appui mural, certains athlètes parviennent à franchir des hauteurs de deux mètres sans même utiliser leurs mains ! Leur appui permet donc de monter le centre de gravité au-delà de la hauteur du mur afin de poser les pieds directement dessus.
Lors de l’apprentissage d’une telle technique on focalisera donc sur la prise de hauteur du centre de gravité plutôt que des mains. Il va de soi que l’accroche du mur et des semelles est un facteur déterminant de la performance en passe-muraille. Ainsi, la pluie, la boue, la matière qui revêt le mur, vont avoir un impact certain sur la réussite de la technique. C’est pourquoi les techniques de Parkour doivent être travaillées dans toutes les conditions possibles, afin que le mouvement devienne aussi naturel que celui du chat.
Très bon article d’initiation ! Il ne manquez plus qu’une petite vidéo où tu nous en fais la démonstration 🙂